Hubert Reeves

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L'humanité s'humanise-t-elle ?

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Émission du 31 janvier 2004

Dans une causerie précédente, j'ai présenté l'idée — fort discutable il est vrai — d'un progrès de l'humanité, étalé sur les siècles passés, sur le plan du comportement moral. Du traitement de l'homme par l'homme. La création d'états de droit dans de nombreuses régions, l'interdiction de l'esclavage officiel, l'amélioration du traitement réservé aux prisonniers de guerre, l'émancipation des femmes en sont autant de manifestations éloquentes. Et même si des abus existent toujours, le seul fait qu'ils soient largement blâmés est encore un signe de progrès. Je voudrais aujourd'hui étendre cette argumentation à notre rapport aux animaux. Tout au long des millénaires passés, les humains ont exterminé une quantité incroyable d'espèces animales.

Les sociétés de protection des animaux ont été créées il y a un siècle à peine. Aujourd'hui il y en a un peu partout dans le monde, et leurs moyens d'actions sont de plus en plus importants. J'en profite pour signaler que je suis moi-même président de la Ligue pour la Préservation de la faune Sauvage, connue sous le nom de Ligue ROC, créée en 1976 par le grand humaniste Théodore Monod. Nous travaillons, entre autres sujets, à faire interdire les techniques de chasse particulièrement cruelles pour les animaux, ou l'emploi de poisons dans la nature. Notre mouvement rencontre beaucoup de sympathie, preuve qu'il correspond à des aspirations « dans l'air du temps ».

D'autres organismes travaillent à améliorer le sort des animaux destinés à la nourriture. Les élevages intensifs de poulets en batterie, et de cochons en caissons si petits que les truies n'ont même pas la possibilité de se retourner, sont maintenant largement déconsidérés, et en voie de bannissement, du moins dans nos pays riches. Les coutumes culinaires asiatiques qui consistent à battre longtemps les chiens ou à ébouillanter les carpes avant de les achever, pour en améliorer la saveur, paraissent de plus en plus révoltantes aux yeux des consommateurs occidentaux. Des mouvements d'opposition se manifestent contre les tests sur l'animal pour des produits cosmétiques. La publication de la Déclaration Universelle des Droits de l'Animal à l'Unesco montre bien l'évolution de la sensibilité moderne sur cette question. Même si les abus sont encore nombreux, le seul fait qu'ils soient signalés et désapprouvés va dans le sens d'un progrès. Pourtant, il reste que le meurtre est un élément inhérent de la nature. La vie animale en est toute empreinte. Évitez de vous trouver face-à-face à un ours polaire sans une arme : si vous le ratez, lui, il ne vous ratera pas !

Il ne s'agit pas de nier ce qu'on pourrait appeler, d'une façon tout à fait anthropomorphique, la « cruauté de la nature ». Notre devoir d'humain est d'humaniser la nature. L'ours ne sait pas qu'il peut nous faire souffrir, mais nous savons, nous, que nous pouvons le faire souffrir. Et cela nous donne une responsabilité : celle de minimiser cette souffrance, si elle s'avère nécessaire, si on doit, par nécessité ou en dernier recours, tuer.

Il n'y a pas si longtemps, on organisait des battues pour tuer les loups. Aujourd'hui, on les protège, et on cherche, non sans difficulté, à les faire admettre par les éleveurs de moutons qui ont perdu l'habitude de surveiller leurs troupeaux. Des bergers finissent par accepter le loup. Là aussi, on peut voir une évolution positive de la sensibilité humaine, et nous en réjouir.


P.S. : Sur ce sujet, je vous conseille la lecture d'un texte de l'auteur italien Dino Buzatti dans son livre nommé « Le K ». Le texte s'intitule « Douce nuit ».