Hubert Reeves

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Une étoile nouvelle sur l'Empire de Chine

Émission du 21 février 2004

Aujourd'hui, je vais vous raconter une histoire chinoise.

Une histoire qui se passe en Chine, le matin du 4 juillet de l'an 1054.

À cette période, il y avait beaucoup d'astrologues, d'astronomes, en Chine, et chacune de ces personnes avait pour mission de regarder une partie du ciel, de détecter des événements anormaux qui auraient pu s'y passer, et d'en rendre compte aussitôt à l'empereur, en interprétant pour lui ce que ça voulait dire pour l'Empire de Chine (parce qu'on était bien convaincus que tout ce qui se passait dans le ciel se reflétait, avait une influence, une correspondance avec ce qui se passait en Chine).

Ce matin-là, donc, ces astronomes voient, peu avant le lever du Soleil, apparaître dans le ciel une étoile extraordinairement brillante : plus brillante que Vénus, et presque aussi brillante que la Lune. Alors ils ont appelé cette étoile l'Étoile « Hôtesse qui vient les visiter », et ils ont couru voir l'empereur et lui dire ce qu'ils avaient vu, et comment ils pouvaient l'interpréter.

Il faut vous dire qu'à cette période, le métier d'astrologue n'était pas un métier sans risques : les astrologues qui se trompaient dans leurs prédictions, on leur coupait immédiatement le cou. Le métier était, évidemment, plus risqué qu'aujourd'hui.

Ces astrologues, apparemment, auraient interprété le phénomène de la façon suivante : ils auraient dit : « Cette étoile apporte de bonnes nouvelles pour la Chine : elle nous annonce des moissons abondantes dans les années qui suivent ». On ne sait pas si ça s'est passé comme ça ou non, donc on ne connaît pas le sort de ces astrologues.

Ce que nous savons maintenant, c'est que cette étoile, qui a explosé ce matin-là, que nous observons bien au téléscope, est une supernova — c'est-à-dire, pas la naissance d'une étoile, mais la mort d'une étoile — ; que cette supernova, comme il y en a beaucoup dans le ciel, est un événement très important, parce que c'est la période, c'est le moment où une étoile, après avoir, tout au long de sa vie, fabriqué des atomes dans son cœur intérieur — en particulier, pour ce type d'étoile, des atomes d'oxygène, de carbone et d'azote —, cette étoile explose, et retourne sa matière à l'espace interstellaire.

Ces atomes, ensuite, peuvent être repris par d'autres nébuleuses, sur lesquelles peuvent se former des étoiles comme le Soleil, sur lesquelles peuvent se former des terres comme la planète Terre. C'est un événement qui est un événement très régulier, qui fait partie de ce cycle d'enrichissement de la matière interstellaire en éléments lourds.

Alors ce qu'on peut dire, c'est que, dans le fond, les astrologues avaient raison.

Ils avaient raison si on veut concevoir, si on veut voir, si on veut interpréter les mots « moissons abondantes dans les années à venir », non pas en termes d'année « décennies » suivant l'événement, mais en termes beaucoup plus prolongés, puisque effectivement, ces atomes peuvent — mais alors des millions, des milliards d'années plus tard —, venir ensemencer une planète en formation, et être effectivement à la source de moissons abondantes dans un pays qu'on appellera « La Chine » sur une planète encore à naître qu'on appellera « La Terre ».

Donc en ce sens, on voit comment ce conte chinois représente une partie de la vérité : ces astrologues avaient raison, mais pourvu qu'on fasse une distinction dans la notion de temps à venir : à l'échelle de millions ou de milliards d'années, cet événement peut être effectivement à la source de moissons très abondantes sur des planètes à venir.