Hubert Reeves

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Le problème de l'azote

Émission du 13 mars 2004

À la fin du 18ème siècle, les chimistes ont réussi à déterminer la composition de l'air que nous respirons. En plus de l'oxygène, élément indispensable à notre vie, ils découvrirent un autre élément, majoritaire celui-là (70 %), qui ne semblait pas jouer un rôle analogue. On le nomma « azote », ce qui veut dire « sans vie ».

Son importance, moins apparente, mais néanmoins indispensable dans les processus vitaux, devint évidente sur le plan de la culture des plantes. On associa l'épuisement des terres et les maigres récoltes au fait que, progressivement, les sols avaient perdu leurs atomes d'azote. Puis on découvrit que certaines plantes appelées « plantes nitrifiantes » (les légumineuses) avaient la propriété d'extraire de l'azote de l'air et de le fixer dans leurs tissus (le phénomène implique l'activité de certains champignons au niveau de leurs racines). On pouvait ainsi amender les terres appauvries avec des composts enrichis en azote par ce phénomène. Cette pratique de fertilisation des terres par des engrais naturels sous forme de composts et de fumiers était d'ailleurs connue des fermiers bien avant la découverte de la chimie.

Un événement fondamental se produisit vers 1909, quand les chimistes Fritz Aber et Carl Bosch réussirent à fixer des atomes d'hydrogène à l'azote de l'air pour produire de l'ammoniac. À partir de là, des fertilisants artificiels furent rapidement commercialisés et massivement utilisés un peu partout dans le monde. Ils furent largement les agents de la révolution verte qui, à partir de 1960, a grandement accru les rendements agricoles, et permis d'éviter la famine dans les pays asiatiques telle qu'on la prévoyait pour la fin du 20ème siècle.

Mais cette solution n'était pas sans créer de problèmes. Ses méfaits ont commencé à se faire sentir quand la production de nitrifiants artificiels a dépassé en quantité la production de nitrifiants naturels. Selon un schéma désormais classique, nous rencontrons ici une fois de plus l'importance de l'influence humaine sur notre planète et sur les équilibres de notre biosphère.

De cet azote inclus dans les engrais, une très faible fraction migre effectivement vers les plantes auxquelles elles sont destinées. Une partie importante reste dans le sol dont elle altère profondément les propriétés en le privant d'autres éléments essentiels comme le calcium et le magnésium. D'immenses surfaces de terres auparavant arables ont ainsi été stérilisées.

Une autre partie des nitrates rejoint, grâce à la pluie, les nappes phréatiques qu'elle pollue et rend imbuvables. Et une autre partie gagne les nappes d'eau superficielles où elle provoque des développements gigantesques d'algues variées qui utilisent l'oxygène en dissolution dans l'eau, étouffant les autres plantes et asphyxiant les poissons. Le Golfe du Mexique, à proximité du delta du Mississipi, et la baie de Tunis, en sont des exemples dramatiques, tout comme la Baltique, l'Adriatique et la Mer Noire.

Autre effet, plus lent, mais potentiellement plus tragique encore : la combinaison de l'azote avec l'oxygène donne des molécules particulièrement réactives : les oxydes d'azote. Dissoutes dans l'eau, ces substances produisent de l'acide nitrique dont les aérosols entraînés par les vents retombent avec les pluies et affectent à long terme tous les végétaux. Un peu partout dans le monde, des feuillages d'arbres jaunissent prématurément, et les couronnes s'amincissent, signes d'une mort prochaine. Toutes les forêts sont potentiellement menacées.

Pour ne pas perdre nos arbres si indispensables, il importe (que l'on soit jardinier ou agriculteur) de réduire considérablement l'utilisation des fertilisants artificiels.