Hubert Reeves

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« Où sont-ils ? »

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Émission du 11 septembre 2004

L'argument des trois fenêtres :

Grâce aux observations des grands télescopes, nous avançons rapidement dans l'exploration de notre univers. Une propriété du cosmos nous frappe de manière de plus en plus évidente : c'est sa grande homogénéité. De chez nous jusqu'à des milliards d'années-lumières, on relève, dans l'aspect et le comportement de la matière, de grandes similitudes. C'est un peu partout passablement — mais pas exactement — pareil. Et cela à la fois dans le monde des grandes structures (galaxies, nébuleuses, étoiles) comme dans celui des petites structures (molécules, atomes, particules élémentaires).

L'imagerie astronomique permet d'observer le monde par ce que nous appellerons la « grande fenêtre ». On constate que l'univers est une sorte d'archipel dont les îles sont les galaxies. On les regroupe selon leurs formes : spirales, elliptiques, irrégulières … Ces formes évoluent en fonction de l'âge de l'univers. Dans ces galaxies, on observe une multitude d'étoiles classifiées selon leur température, leurs couleurs, et d'autres paramètres. Mais d'une galaxie à l'autre, les astres montrent de grandes analogies.

Par la « petite fenêtre », ouverte grâce à l'analyse de la lumière des astres au moyen des spectroscopes, on peut observer et répertorier les populations d'atomes et de molécules. Résultat remarquable : nous retrouvons les mêmes atomes que dans nos laboratoires de physique terrestre. Aucun atome inconnu sur la Terre n'a été détecté dans le ciel, jusqu'aux limites du cosmos observable.

De même, la radioastronomie nous a révélé la présence, dans notre galaxie comme dans bien d'autres galaxies voisines, de molécules interstellaires familières à nos chimistes des laboratoires. Fait remarquable : toutes les molécules incorporant plus de trois ou quatre atomes — certaines en ont une centaine — contiennent un nombre important d'atomes de carbone. Le carbone semble être, dans le ciel, comme sur la Terre, l'élément de choix des architectures moléculaires.

Il nous reste encore à pouvoir observer par la troisième fenêtre, la fenêtre qui s'ouvrirait sur des structures de dimensions intermédiaires entre les atomes et les galaxies. La fenêtre qui correspondrait vraisemblablement aux organismes vivants, des virus aux baleines. Cette fenêtre nous est encore bouchée, d'où notre impossibilité aujourd'hui de savoir si la vie existe ailleurs que chez nous. Elle pourrait bien s'ouvrir bientôt grâce aux ambitieux programmes de recherches spatiales, mais tel n'est pas encore le cas.

Pourtant, les résultats des observations par la petite et la grande fenêtre nous permettent d'énoncer un argument de plausibilité : l'argument d'homogénéité cosmique. Il s'énonce comme ceci : tenant compte des grandes similarités observées aussi bien dans les macrostructures (étoiles, galaxies, amas de galaxies) que dans les microstructures (atomes, molécules), on peut supposer que les structures intermédiaires présentent des analogies avec celles qui nous sont familières sur la Terre. Les formes vivantes présenteraient sans doute une grande diversité (comme sur la Terre), mais les caractéristiques communes resteraient nombreuses. Cette dernière proposition est d'ailleurs renforcée par la nécessité pour les vivants de satisfaire aux contraintes liées aux exigences de la matière vivante (puiser de l'énergie, rencontrer la compétition, se reproduire, etc).

Que vaut cet argument de l'homogénéité des structures pour appuyer la thèse de la vie extraterrestre ? À mon avis, il est suggestif mais pas vraiment très convaincant. La semaine prochaine, je présenterai un argument qui tend à laisser penser, au contraire, que nous sommes seuls dans l'univers. Preuve que le débat est loin d'être terminé …