Hubert Reeves

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Extinctions

Émission du 16 octobre 2004

Vers 1980, lors d'une visite à un musée d'Histoire Naturelle à Chicago, j'ai aperçu dans la boutique des cartes postales et autres souvenirs, un poster illustrant les espèces animales déja éteintes (le dodo de l'Ile Maurice, la tourte, etc.) ou sérieusement menacées (le tigre blanc, le rhinocéros blanc), parmi lesquelles, tout au bas du poster, il y avait : un homme, une femme, et leur bébé.

Surprise et choc ! Fallait-il prendre ce message au sérieux ? La population humaine, évaluée à déjà plus de six milliards, ne cesse d'augmenter … Comment peut-on envisager son extinction ?

Ajoutons qu'à cette époque (il y a à peine 25 ans), les signes d'inquiétude sur l'état de la vie terrestre étaient beaucoup moins intenses qu'aujourd'hui. Certains disaient : « une espèce disparaît, une autre apparaît, c'est le dynamisme normal de l'évolution. La vie est en perpétuelle transformation ». D'autres ajoutaient : « Nos énergies seraient mieux employées à aider les humains plongés dans la misère qu'à s'occuper des petites bêtes ». Tout cela paraîssait bien judicieux.

Et pourtant …

Il est toujours intéressant, quand on veut aborder un problème, de procéder d'abord à une rétrospective historique : y a-t-il eu des cas analogues, des précédents ? Quelle est l'origine de la situation actuelle ?

La vie apparaît sur la Terre il y a un peu plus de trois milliards d'années, et persiste sans interruption depuis cette période. Elle reste confinée dans l'eau jusqu'à il y a environ six cents millions d'années. De cette période, nous savons peu de choses. Nos connaissances plus détaillées commencent à la sortie de l'eau (amphibiens, etc.). Nous pouvons suivre, mais avec encore beaucoup d'incertitudes, l'évolution des populations et le nombre des espèces vivantes de cette période jusqu'à nos jours. Il est un phénomène que les géologues ont mis en évidence : l'existence, à plusieurs reprises dans les ères passées, de changements brusques et profonds dans la faune et la flore. L'étude des variétés de fossiles observées dans les strates du sol montre que nombre d'espèces ont soudainement disparus (on parle ici d'extinction) alors que de nouvelles espèces ont vu le jour.

Les causes de ces extinctions sont encore mal connues, au moins pour les plus anciennes. On les attribue à des changements rapides de conditions climatologiques provoquées par du volcanisme intense ou des chutes de météorites. Le cas le plus grave se situe il y a environ 250 millions d'années, entraînant la disparition de 90 % des espèces. L'extinction plus récente, il y a 65 millions d'années, a été causée, nous en avons des preuves assez convaincantes, par la chute d'une pierre géante (de la dimension du mont Blanc) dans le golfe du Mexique, au niveau de la province du Yucatan. Elle a entraîné la disparition de plus de 50 % des espèces vivantes, y compris l'immense population de dinosaures qui, à cette époque, étaient présents sur toute la Terre.

On compte généralement cinq grandes périodes d'extinction dans l'histoire de la Terre. Une sixième a commencé il y a quelques décennies. Responsables : l'humanité et son industrie. C'est de cette sixième extinction dont l'homme et la femme au bas du poster du musée de Chicago pourraient bien être victimes. Nous y reviendrons dans une prochaine causerie.