Hubert Reeves

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Émission du 6 novembre 2004

Au cours des dernières causeries, nous nous sommes attardés sur plusieurs aspects de l'évolution de la vie sur la Terre. Ces considérations sont importantes pour celui qui veut essayer de prévoir l'avenir des êtres vivants, et plus particulièrement celui de l'humanité, donc de nos descendants.

Nous avons parlé en particulier des extinctions massives d'espèces vivantes qui se sont produites à plusieurs reprises, entraînant des changements importants dans la distribution de la faune et de la flore. Nous avons parlé en particulier de la cinquième, il y a 65 millions d'années, qui a vu la fin du règne des dinosaures, permettant l'épanouissement des mammifères.

Les espèces qui survivent sont celles qui ont réussi à s'adapter aux conditions nouvelles. Les autres disparaissent à jamais.

Qu'est-ce qui nous permet aujourd'hui d'affirmer que nous sommes engagés dans une période d'extinction comparable aux plus graves que la biosphère a connu ? Ici, il convient de laisser la parole aux meilleurs spécialistes de la biologie contemporaine.

Selon Robert May, de l'Université d'Oxford en Angleterre et Président de la Royal Society, « Le taux d'extinction s'est accéléré pendant le dernier siècle jusqu'à approximativement mille fois ce qu'il était avant l'arrivée des humains ».

Selon E. O. Wilson, de l'Université Harvard (un des plus éminents biologistes de notre époque), entre un et dix pour cent des espèces disparaissent à chaque décennie, au moins vingt sept mille par année.

En 1998, une enquête auprès des biologistes a montré qu'ils croient qu'une extinction massive progresse aujourd'hui. Un tiers d'entre eux s'attend à une perte de 20 % à 50 % des espèces dans les trente prochaines années.

Selon le programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE), près d'un quart des mammifères (1 130 espèces) et 12 % des espèces d'oiseaux sont menacés d'extinction.

Les êtres humains prennent facilement pour acquis qu'ils sont le but, et le chef d'œuvre de l'évolution biologique, et qu'en conséquence, ils sont exemptés de la destinée commune aux espèces vivantes. Ce n'est pas le message que nous recevons aujourd'hui des connaissances scientifiques. Les espèces qui perdurent sont celles qui arrivent à s'installer dans un rapport harmonieux avec les autres espèces du même écosystème. J'aime bien prendre l'exemple des tortues. Elles existent depuis plus de trois cents millions d'années et pourraient se perpétuer encore longtemps. Elles ne menacent personne, et personne ne les menace. Sauf nous …

Dans cette sixième extinction, les humains jouent trois rôles différents : ils en sont la cause (par l'extension de leur industrie), les victimes possibles, et les sauveurs potentiels.

La crise contemporaine diffère de la précédente (celle qui a anéanti les dinosaures) sur plusieurs points. Peu de temps après la chute de la météorite, les dommages de la cinquième extinction étaient entérinés et la récupération biologique pouvait commencer. Personne ne sait aujourd'hui quand et comment se terminera la sixième.

On peut envisager un scénario tragique : il semble assez vraisemblable que l'élimination de l'espèce humaine, ou son affaiblissement au point qu'elle perdrait sa puissance de détérioration de son environnement, stopperait les dégâts. Comme celui des dinosaures il y a 65 millions d'années, notre règne aurait pris fin. Et les dernières tortues (s'il en reste) diraient : « Ouf ».

La crise s'arrêterait alors d'elle-même.

Notre devoir aujourd'hui est de tout faire pour que l'espèce humaine soit parmi les survivantes. C'est-à-dire que la crise s'arrête par la volonté active des êtres humains, et non pas par leur passivité.