Hubert Reeves

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La responsabilité des publicitaires

Émission du 29 janvier 2005

Aujourd'hui, la publicité, sous toutes ses formes, est vraisemblablement le vecteur de communication le plus puissant et le plus efficace à l'échelle mondiale. Par la télévision, la radio, les journaux et les panneaux publicitaires dans les villes et près des routes, elle atteint une fraction majeure de l'humanité. Elle rejoint beaucoup plus efficacement les humains que les livres, les articles de journaux ou les films d'auteurs. La publicité est, en un certain sens, la messagerie universelle.

Force nous est de reconnaître cependant que, dans notre lutte contemporaine pour préserver l'environnement et neutraliser les graves menaces qui pèsent sur l'avenir de la planète, son rôle est généralement négatif. Les messages et les injonctions dispensés par la publicité sont régulièrement en contradiction flagrante avec ce qui paraît aujourd'hui fondamental et urgent, avec ce qu'il faudrait transmettre aux populations pour faire face à la situation contemporaine.

Particulièrement flagrant, il y a le cas des voitures. La combustion du pétrole et l'émission de gaz carbonique qui en résulte est une des causes les plus importantes de l'effet de serre et, par là, du réchauffement de la planète. Cette affirmation est maintenant prouvée au-delà de tout doute raisonnable. Nous sommes conscients de l'urgence de réduire ces émissions de gaz à effet de serre, tant pour minimiser ce réchauffement que pour éviter l'épuisement de ces ressources mondiales déjà largement entamées. La croissance accélérée du transport routier sur la planète s'avère être une des principales menaces qui pèsent sur notre avenir. Elle est passible de neutraliser tous nos efforts pour préserver l'environnement si elle devait continuer à son rythme présent.

Ouvrez pourtant votre télévision aux moments des publicités. Le discours est totalement différent. On assiste à une vigoureuse promotion de l'achat de voitures personnelles, généralement les plus énergivores, et dotées de climatisation automatique. Résultat : le marché de la voiture va très bien (plus de cinq cent millions sur la Terre), et la consommation moyenne d'essence par kilomètre et par voiture, depuis quelques années, est en augmentation constante. On sait ce qu'il faudrait faire, et la publicité enseigne exactement le contraire.

Bien sûr, les agents publicitaires doivent se plier aux exigences des entreprises qui les embauchent, des entreprises généralement plus axées sur le profit à court terme que sur la survie de l'humanité. À cela s'ajoute la compétition internationale à laquelle ces marchés doivent faire face. Voici une anecdote révélatrice : après la crise du pétrole des années 1970, on a favorisé la promotion de voitures à faible consommation d'essence. Quelques années plus tard, le marché automobile japonais en expansion rapide menace son homologue américain. Panique des constructeurs américains, et nouveau mot d'ordre aux publicitaires : cesser de vanter les économies d'énergie : tout miser sur la sécurité, promouvoir les véhicules lourds moins dangereux pour les passagers en cas d'accidents.

Résultat : la relance des voitures énergivores, et l'escalade dans les engins puissants, types 4 × 4 ou même « chars d'assaut », consommant jusqu'à 25 litres aux cent kilomètres. Les constructeurs de voitures se sont refait une santé au prix de la santé des humains et de la planète.

Les publicitaires ont une responsabilité majeure quant à l'avenir de la vie sur la Terre. Nous reviendrons sur ce sujet dans une prochaine causerie.