Hubert Reeves

Les univers miroirs

Émission du 3 septembre 2005

Notre sujet favori : l'univers, est un sujet intarissable. On peut le considérer sous de nombreux angles différents, et toujours lui découvrir des aspects fort intéressants. Aujourd'hui, nous allons nous interroger sur une de ses propriétés encore inconnue : sa topologie.

Pour illustrer le sens de ce mot abstrait, je vais commencer par évoquer un souvenir personnel.

Quand j'étais enfant, à Montréal, il était d'usage d'aller régulièrement chez le coiffeur pour se faire couper les cheveux. On utilisait alors le mot « barbier ». Parmi les nombreuses boutiques de barbiers de la Côte des Neiges où j'habitais alors, une me plaisait particulièrement : ses murs étaient recouverts de miroirs. En ouvrant la porte, on entrait dans un espace infini. De chaque côté, l'œil percevait, mille fois répétées, les mêmes images de fauteuils et de barbiers rasant des visages et lavant des têtes. On pouvait s'apercevoir soi-même, de face, de dos, de côté, ou selon toutes les orientations possibles. Mais chacun savait qu'il s'agissait d'une illusion : la boutique était de dimensions très modestes, il n'y avait que quatre fauteuils et quatre barbiers. Les milliers d'autres barbiers étaient la production des miroirs dont la propriété est de réfléchir les images et de les multiplier à l'infini.

En regardant le ciel étoilé, en replaçant devant nos yeux l'image du champ profond du télescope Hubble, l'analogie avec la boutique du barbier est tentante. Et d'ailleurs, au début du 20^ème siècle, des astrophysiciens ont imaginé que l'univers ne contenait qu'un tout petit nombre de galaxies occupant un espace restreint, et qu'au-delà d'une certaine distance, on revoyait plus loin les mêmes galaxies, et puis plus loin encore, de nombreuses fois, jusqu'à l'infini.

Bien sûr, dans l'univers, il n'y a pas de miroirs comme chez le barbier de mon enfance, mais certaines propriétés de l'espace peuvent jouer un rôle équivalent. En d'autres mot, la configuration précise du cosmos peut engendrer des effets tout à fait analogues à la présence de miroirs. C'est à dire : faire se répéter les images d'une source lumineuse, donnant l'impression d'un espace infini alors qu'il ne le serait pas. Un sorte de mirage qui en engendre d'autres …

Mathématiquement, il existe un très grand nombre de topologies différentes. « Quelle est la topologie de l'espace cosmique ? » est une question légitime en astrophysique.

Comment pourrions-nous tenter de répondre ? D'abord, en répertoriant les galaxies lointaines, et en essayant d'identifier des répétitions. Si, par exemple, on pouvait prouver que l'image de la galaxie d'Andromède, une de nos plus proches voisines, se retrouve plus loin, et plus loin encore, on aurait une observation passible de nous renseigner sur la topologie de notre espace. D'autres techniques consistent à étudier les propriétés du rayonnement fossile émis quand l'univers avait 400 000 ans ; sa configuration précise nous renseignerait également.

De telles études se poursuivent activement. Les résultats préliminaires ne donnent pas de réponses précises. Mais la construction de télescopes de plus en plus puissants pourrait bientôt nous renseigner sur la possibilité que notre univers soit un univers miroir. Ce qui signifierait, en analogie avec la boutique du barbier, qu'il n'est pas infini, et nous aurions notre réponse.