Hubert Reeves

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Émission du 24 septembre 2005

L'année 2005 a été nommée « Année Einstein ». On commémore, en fait, le centenaire de la Théorie de Relativité dans sa première version appelée « relativité restreinte ». C'est en effet en 1905 qu'Albert Einstein l'a publiée. La théorie de la « relativité générale » le sera douze ans plus tard.

Pour expliquer l'origine de cette théorie, je ferai appel à des notions familières aux passagers des avions, et surtout à leurs pilotes : « vitesse par rapport au sol », « vitesse par rapport à l'air ». La vitesse du vent mesurée par les instruments de l'avion est plus élevée si l'avion fonce dans le vent, moins élevée si l'avion a le vent « dans le dos ». C'est que la vitesse du vent s'additionne à celle de l'avion dans le premier cas, elle s'en soustrait dans le second.

Si le vent atteint des dizaines ou des centaines de kilomètres à l'heure, la lumière, elle, file à trois-cent mille kilomètres par seconde. Cette vitesse a été mesurée pour la première fois par Olav Roehmer à l'Observatoire de Paris au 17ème siècle. En analogie avec l'avion qui vole contre le vent, on se posait au 19ème siècle la question de savoir si la vitesse de la lumière était affectée par le mouvement de l'observateur. Est-ce qu'elle paraîtrait aller plus vite quand on s'en approche, ou plus lentement lorsqu'on s'en éloigne ?

On a donc tenté de répondre à la question en observant une même étoile deux fois, à six mois d'intervalle, par exemple d'abord au mois de juin puis au mois de décembre.

Pourquoi ?

Rappelons que la Terre se déplace dans l'espace à 30 km/s sur une orbite elliptique autour du Soleil. Si son mouvement est dirigé dans la direction de l'étoile à un moment donné, six mois plus tard il sera dans la direction opposée. On s'attendait donc à avoir une différence de vitesse de 30 km/s en plus la première fois, et de 30 km/s en moins la deuxième fois. Soit une différence totale de 60 km/s.

On mesure. Résultat : zéro ! Aucune différence dans la vitesse de la lumière, quel que soit le moment de l'année où l'on effectue la mesure.

Ce résultat paradoxal est resté inexpliqué pendant des décennies. On a mis en cause la méthode d'observation, la crédibilité des résultats. Rien n'y fit. Le mystère restait entier.

Ce résultat expérimental a joué un rôle majeur dans l'élaboration de la théorie d'Einstein. Au départ, son attitude a été de refuser de le contester au nom des idées prévalentes à cette époque.

Puis, il s'est dit : « Quel message la nature nous envoie-t-elle ? Lequel de nos préjugés, que nous érigeons trop facilement en certitudes, faut-il remettre en question pour comprendre ce résultat ? »

La réflexion a porté ses fruits : c'est en réexaminant les notions les plus fondamentales sur la nature même du temps et de l'espace qu'il a pu résoudre ce problème. Mais comment ?