Hubert Reeves

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Émission du 3 décembre 2005

Les trous noirs (4)

On a de bonnes raisons de penser que la présence d'un trou noir colossal au cœur d'une galaxie est un phénomène universel. On en observe un grand nombre. Les uns se manifestent d'une façon extrêmement spectaculaire, en émettant des rayonnements d'une très grande puissance sur toutes les longueurs d'ondes (de la radio jusqu'aux gammas), et en propulsant des jets qui peuvent s'étaler sur plusieurs millions d'années-lumière. Tel est le cas de celui qui habite la galaxie M87, une des galaxies les plus massives de l'amas de la Vierge, dont notre Voie Lactée fait également partie. La masse de son trou noir central équivaut à 80 millions de masses solaires, et la luminosité qui s'en échappe — indirectement, puisqu'un trou noir, par définition, n'émet aucune lumière — est comparable à celle de la galaxie entière qui l'héberge.

Notre trou noir, je le rappelle, est relativement petit (3 millions de masses solaires), et n'émet, à cette échelle, presque rien. La question est : pourquoi ?

La luminosité indirecte des trous noirs est reliée à la quantité de matière qu'ils dévorent. Ce sont des aspirateurs géants qui engouffrent tout ce qui passe à leur proximité, mais encore faut-il qu'il existe quelque chose à manger !

On a toutes raisons de penser que la formation du trou noir central d'une galaxie est intimement relié à la formation de la galaxie elle-même, de même que la formation du système solaire est reliée à la formation du Soleil. On pense qu'une partie de la matière de la galaxie en formation ne s'est pas mise en orbite autour du centre galactique, mais qu'elle est retombée vers ce centre, formant ainsi le trou noir. L'approche du centre se fait en un mouvement tourbillonnant, créant ce qu'on appelle un disque d'accrétion, spirale qui s'engouffre inéluctablement dans le trou noir. La rotation s'accélérant produit un échauffement progressif, émettant des rayonnements de plus en plus énergétiques.

Mais la quantité de matière passible de sombrer dans le trou noir s'amenuise progressivement. Le monstre, privé de nourriture, voit sa luminosité décliner considérablement. Il s'endormirait si d'autres événements ne venaient occasionnellement le stimuler.

Ce sont les collisions de galaxies qui vont provoquer ses réveils. Attirées par la gravité qui s'exercent entre elles, des galaxies relativement voisines arrivent à remonter le courant de Hubble (l'expansion de l'univers), et à fusionner : on dit qu'elles entrent en coalescence. Résultat : un nouvel apport de matière alimente les trous noirs, et les réactive pour un temps.

L'histoire de la luminosité attachée à un trou noir est marquée d'un premier chapitre correspondant à la naissance de la galaxie. Les chapitres suivants sont tributaires d'événements liés au hasard des rencontres dans l'espace intergalactique.

La discrétion de notre trou noir s'explique alors tout naturellement : il est présentement au régime sec !