Hubert Reeves

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Émission du 22 janvier 2006

Nous poursuivons notre étude du monde étrange de l'antimatière, découvert théoriquement par le physicien Dirac, et confirmé expérimentalement dans les laboratoires.

La matière et l'antimatière se révèlent à nous comme deux mondes parallèles ayant des propriétés très semblables, et différant seulement par les charges électriques des particules qui les constituent. Les électrons ont des charges négatives, tandis que les anti-électrons sont positifs.

La nature, pourtant, semble avoir privilégié la matière par rapport à l'antimatière. Tout autour de nous, tout est matière, et l'antimatière est extrêmement rare : on en trouve d'infimes quantités dans le rayonnement cosmique qui circule entre les planètes et les étoiles. On sait en fabriquer à grands frais dans les accélérateurs.

Cette grandissime différence entre les populations des particules et celles des antiparticules devient particulièrement surprenante quand on prend en considération le fait que, dans les phénomènes de laboratoires, ces paires sont toujours engendrées ensemble. À toute génération d'un électron correspond obligatoirement la génération d'un anti-électron. S'il en est ainsi au laboratoire, on a de bonnes raisons de penser qu'il en a été ainsi lors des réactions primordiales qui ont créé les électrons. Comment expliquer alors l'extrême rareté de l'antimatière naturelle par rapport à la matière ordinaire ?

Reconnaissons d'abord que nous n'avons, à ce jour, aucune réponse parfaitement satisfaisante à cette question. Elle reste une des énigmes de la cosmologie contemporaine. Pourtant, nous avons une ébauche de scénario que nous devons au physicien Andreï Sakharov, célèbre pour ses démêlés avec les dirigeants de l'ex-URSS.

Dans l'immense chaleur du Big Bang, les réactions de créations et d'annihilations de paires, semblables à celles que nous provoquons au laboratoire, étaient innombrables. En conséquence, aux premiers temps de l'univers, les populations de particules de matière et d'antimatière devaient être strictement égales.

Pourtant, au cours du refroidissement, pendant les premières microsecondes du cosmos, des phénomènes appelés « transitions de phase » se sont produits, dont les effets sur l'évolution ultérieure ont été d'une importance fondamentale. Ils ont engendré un peu plus de matière que d'antimatière : un milliard et une particules de matière pour chaque milliard de particules d'antimatière. Cette infime différence de population a favorisé la matière sur l'antimatière, et d'impressionnantes conséquences vont, plus tard, en résulter.

Telle fut la situation jusqu'à la première seconde du cosmos. Puis, la matière refroidie par l'expansion ne fut plus assez chaude (n'avait plus assez d'énergie thermique) pour engendrer de nouvelles créations de paires (ce phénomène est en effet très coûteux en énergie, puisqu'il faut créer la masse des particules de la paire). Par contre, les annihilations de paires, qui n'exigent pas d'énergie, mais au contraire en dégagent, continuaient à se produire.

Comme chaque particule d'antimatière a pu trouver un partenaire de matière et s'annihiler avec lui, l'antimatière a disparu de l'univers à cette période. C'est pourquoi on n'en trouve plus, ou presque plus.

Mais, et c'est là le point crucial, le petit surplus de matière produit auparavant n'a pas pu trouver de partenaire pour s'annihiler. Il est donc demeuré intact. Et c'est de ce petit surplus que notre univers contemporain est formé. Sans lui, notre univers ne contiendrait aujourd'hui que de la lumière. Donnons au passage un coup de chapeau à ce phénomène grâce auquel, plus tard, résultat de l'évolution, nous existons …