Hubert Reeves

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Émission du 19 février 2006

La détection de neutrinos en provenance du Soleil a confirmé l'origine nucléaire de l'énergie des étoiles. Sous l'effet de la chaleur des cœurs stellaires (des dizaines de millions de degrés), l'hydrogène se transforme en hélium. Les réactions nucléaires qui provoquent cette mutation émettent de puissants flux de neutrinos. Connus pour leur discrétion (ils laissent très peu de trace de leur passage), ils nous parviennent directement depuis le cœur du Soleil. Mais contrairement à la lumière de l'astre, ils traversent sans difficulté le volume pierreux de notre planète. Résultat : le Soleil neutrinique ne se couche jamais, et ces particules nous parviennent de nuit comme de jour.

Ici réside un espoir futur pour la géologie. Les flux diurnes et nocturnes ne sont pas exactement égaux. Il n'est pas encore possible d'en estimer la différence, vraisemblablement extrêmement faible, mais l'amélioration continuelle des techniques laisse prévoir qu'on y arrivera bientôt. En nous permettant d'évaluer l'effet de la substance terrestre interposée entre le Soleil et nos détecteurs pendant la nuit, ces mesures nous renseigneront sur les conditions physiques à l'intérieur de notre planète. Une sorte d'échographie d'un des lieux les plus mal connus de notre univers.

La détection des neutrinos en provenance du Soleil nous a également fourni un renseignement d'une grande importance : notre astre est fait, comme nous, de matière, et non pas d'antimatière. Comme les protons et les électrons, les neutrinos ont leur antiparticule : les antineutrinos. Ce sont eux qu'un Soleil d'antimatière projetterait. Or, les évaluations maintenant nombreuses et détaillées des émissions solaires montrent qu'il s'agit de neutrinos, indiquant par là même que le Soleil est bel et bien fait de matière. Nous le supposions déjà, mais en science, les confirmations ne sont jamais de trop …

Ainsi en est-il des neutrinos émis par la supernova de 1987 dans le Grand Nuage de Magellan. Ces détections nous suggèrent que l'univers est composé de matière, et non pas d'antimatière, au moins dans notre proche espace galactique. Nous avons des raisons de penser que cette prédominance de la matière sur l'antimatière s'étend, en fait, à tout l'univers observable.

Selon la théorie du Big Bang, il doit exister dans le cosmos un rayonnement fossile de neutrinos analogue à celui des photons découvert en 1965. Il porterait la trace d'évènements qui se sont produits pendant les premières secondes de l'univers. Contrairement au flux du Soleil, ce rayonnement contiendrait la même quantité (à très peu de chose près) de neutrinos et d'antineutrinos. Leur énergie, un milliard de fois plus faible que celle des neutrinos solaires, les rend beaucoup plus difficiles à détecter, au point qu'aucune technologie actuelle n'est encore capable de le faire. On peut cependant espérer que des progrès techniques nous le permettront dans les décennies à venir. Leur détection confirmerait magnifiquement la valeur de la théorie du Big Bang. Sinon, les cosmologistes auront des maux de tête …