Hubert Reeves

Site officiel

Chronique
précédente :

La force faible

Chroniques radio France-Culture

Tous les dimanches à 22h10
(rediffusion le mercredi suivant à 13h50)

Chronique
suivante :

Les amas de galaxies

L’énergie du vide

Émission du 23 avril 2006

En physique, on parle souvent de l'énergie du vide. Je vais essayer d'expliciter le sens de cette expression mystérieuse, quasi paradoxale.

Il faut garder en mémoire que, dans toute discipline scientifique, les expressions prennent toujours leur sens par rapport à une expérience ou une opération spécifique.

Ici tout se passe autour de l'opération « faire le vide ».

Au sens propre du terme, faire le vide consiste à enlever d'un contenant tout son contenu. Ce genre de manipulation a commencé au 18ème siècle quand, à l'aide de pompes, on a essayé d'extraire l'air de quelques enceintes. On supposait que le vide serait atteint quand il ne resterait plus une seule molécule d'air.

Mais la réalité s'est avérée beaucoup plus complexe. On a découvert que, même si on arrivait à extraire la toute dernière molécule d'air, il resterait une forme d'énergie résiduelle résistant à tout effort d'extraction. Cette énergie se présente sous la forme de diverses particules : des photons, des électrons, des antiélectrons, et bien d'autres encore. Ces particules interagissent entre elles : des photons se transforment spontanément en paires d'électrons et antiélectrons, et vice versa. L'activité est incessante. On dit que le vide « bourdonne » en permanence. C'est l'énergie de l'ensemble de ces particules qu'on appelle « énergie du vide ».

Cette énergie résiduelle existe partout dans l'univers. Certains modèles cosmologiques font de cette énergie la cause de l'expansion du cosmos et, en fait, de toute matière. Elle serait la réalité de « l'avant Big Bang », qu'elle aurait provoqué. Mais tout cela est encore largement spéculatif.

On a découvert, il y a environ une décennie, que les vitesses d'éloignement des galaxies sont en augmentation constante. Nous avons de bonnes raisons de penser que cette accélération est provoquée par l'énergie du vide à l'échelle du cosmos. Mais cela est encore incertain.

Comment cela se passerait-t-il ? Cette énergie, nous le savons, exerce une interaction avec les galaxies. Mais, contrairement à la matière ordinaire, son interaction est répulsive. Elle serait responsable de l'accélération qui repousse les galaxies les unes des autres de plus en plus rapidement. Cette composante du cosmos, appelée « énergie sombre », domine aujourd'hui, et représente environ 70 % de la densité totale de l'Univers. De plus, cette proportion est en perpétuel accroissement. On peut donc prévoir que l'accélération des galaxies va se poursuivre encore longtemps. Résultat : les galaxies seront de plus en plus difficiles à voir et, en pratique, de plus en plus rares dans le ciel de nos télescopes.