Hubert Reeves

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Aux sources de la morale

Publié le 17 janvier 2014 dans Le Point.fr

L’astrophysicien nous explique le fonctionnement des « neurones miroirs », qui, chez le singe, sont à l’origine d’une empathie dont l’homme lui-même a hérité.

Frédéric Back
Deux femelles chimpanzés de haut rang s’étant affrontées pour des feuillages comestibles, un mâle de haut rang entreprend un arbitrage. © Frans de Waal

Les primates n’ont pas fini de nous surprendre. Une expérience, exécutée par l’équipe d’un biologiste italien Giacomo Rizzolatti, directeur du département des neurosciences à l’université de Parme, obtient un résultat étonnant sur le comportement de primates. Ce qu’il met au jour n’en finit pas de faire causer par ses implications, non seulement pour la biologie, mais aussi pour toute la pensée humaine. L’étude concerne le comportement de certains neurones dans le cerveau d’un singe macaque. Ces neurones portent le nom de neurones moteurs, parce qu’ils s’activent (émettent une décharge électrique) au moment où l’animal exécute une action spécifique. Par exemple, un macaque soulève un objet. On observe les neurones qui s’activent dans son cerveau. Mais, surprise ! On observe la même activation dans les cellules d’un autre macaque qui, sans bouger, regarde l’action du premier. Pour cette raison, on a donné le nom de « neurones miroirs » à ces cellules cérébrales. Depuis, on a observé la présence de ces neurones miroirs chez bon nombre d’autres espèces vivantes, y compris des oiseaux et des humains (enfants et adultes).

Selon les auteurs, le petit singe perçoit le geste de son collègue, l’interprète correctement et transmet cette perception aux réseaux neuronaux associés aux actions. Un contact d’une nature tout à fait inattendue entre les cerveaux de deux individus. Un tel résultat a excité l’imagination des chercheurs.

Altruisme animal

Dans son livre Le bonobo, Dieu et nous, Frans De Waal, un biologiste hollandais spécialiste des chimpanzés, y voit une racine physiologique de l’empathie animale. Il observe et relate de nombreux cas d’altruisme animal. Un singe va spontanément au secours d’un autre singe en difficulté. Ses neurones miroirs s’activent. Il ressent en lui la souffrance de l’autre. Cet affect intériorisé l’amène à interagir pour la réduire. Il va à son secours.

De Waal va plus loin. Il s’adresse au problème philosophique très ancien des sources de la morale chez les êtres humains. Pourquoi, partout sur la planète, les hommes ont-ils adopté des codes de législation altruistes (« tu ne feras pas de tort à ton voisin ») qui sont parfois très contraignants ? Les observations de Rizzolatti impliquent que ce comportement est, au départ, relié à la physiologie des neurones miroirs. Souffrir des malaises observés chez un autre donne envie de le (se) soulager. Dans cette optique, l’empathie humaine s’inscrit tout naturellement dans le cadre de l’évolution biologique de Darwin. Elle est là bien avant l’arrivée de l’Homo sapiens. Il en hérite du monde animal d’où il émerge lui-même.

Pour terminer, j’ajoute une remarque intéressante de Frans De Waal : « On me demande parfois comment on peut parler d’empathie chez les chimpanzés, sachant qu’il leur arrive de s’entretuer. » Je réponds : « Si nous retenions ce critère, ne faudrait-il pas conclure que les humains n’éprouvent pas d’empathie ? »

Lire aussi : Et si les bonobos étaient de grands humanistes ?