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Des dauphins Maui au dilemme des choix étatiques

Publié le 27 août 2014 dans Le Point.fr

Les dauphins Maui sont menacés par l’industrie pétrolière. L’occasion pour Hubert Reeves de réfléchir sur les besoins immédiats des humains.

Dauphins
En Nouvelle-Zélande, les dauphins Maui sont menacés par un projet pétrolier. © Brandon Cole / Biosphoto

Dans la réalité, il arrive parfois que deux objectifs respectables s’opposent. Il peut y avoir de bons arguments en faveur de l’un et de l’autre. Il devient alors nécessaire de choisir. Tel est le cas aujourd’hui pour les dauphins Maui, des cétacés d’une grande élégance qui vivent en Nouvelle-Zélande. Leur population est réduite à moins de soixante individus. Ils sont concentrés dans un sanctuaire de petite dimension qui leur est consacré. Il n’y en a pas ailleurs. Aujourd’hui, cette zone est devenue d’un grand intérêt pour les prospecteurs pétroliers. Ils veulent y implanter leurs forages. Cette exploitation pourrait apporter, dit-on, plus d’un milliard de dollars par an à l’État. Elle éviterait, de plus, un retour au charbon (plus préjudiciable à la biosphère que le pétrole). Mais ce projet mettrait sérieusement en danger l’avenir des dauphins de Maui.

Engrenage

Notre réaction instinctive est de nous opposer à ce projet malencontreux au nom de la protection de la biodiversité déjà bien malmenée. La disparition prévisible de ces cétacés nous attriste. Encore une fois, il paraît que le profit l’emporterait sur la préservation de la vie. Mais voici l’occasion d’y regarder de plus près, au-delà de ce cas qui a suscité le besoin d’évaluer la situation dans sa globalité. De tels dilemmes ne concernent pas que la Nouvelle-Zélande… Les pays riches de leurs forêts primaires, et tous ceux qui détiennent une flotte de pêche en mer, sont confrontés à de tels conflits entre leur économie et la préservation de la biodiversité. C’est l’affrontement de deux logiques différentes. Généralement préserver la biodiversité implique de maintenir le fonctionnement des écosystèmes sur le long terme. C’est indispensable pour que les humains à venir puissent vivre décemment, voire vivre tout court. Or l’économie exige des décisions de (très) court terme. Le système économique actuel, l’économie de marché, la demande toujours croissante d’énergie de la part des Terriens, tout cela entraîne les États dans une sorte d’engrenage. Ils ne peuvent négliger les besoins de leurs citoyens et particulièrement dans les pays en développement.

Sur les plateaux de la balance, nous avons d’un côté la pérennité du vivant dont Homo sapiens dépend et, de l’autre, les besoins immédiats des populations humaines toujours plus nombreuses et aspirant à toujours plus de confort. Mon intention ici n’est pas de choisir entre les deux options. J’en suis bien incapable et je suis heureux de ne pas avoir à le faire. Je veux cependant mettre en évidence la difficulté de cette situation. On doit la prendre en considération avant de jeter l’opprobre sur ceux qui auront à décider. Il faut se souvenir que dans le monde réel, comme l’écrivait Sempé, rien n’est simple.