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Mort thermique de l’univers : quand la science régresse

Publié le 11 septembre 2014 dans Le Point.fr

La vie est-elle possible sans la présence d’écarts de température ? Les scientifiques y perdent leur latin. Explications.

Photographie du satellite Hubble
Une photographie du satellite Hubble montrant l’endroit supposé être le plus froid de l’univers. © Esa / AFP

Nombreux sont les penseurs qui ont utilisé les connaissances scientifiques de leur époque pour justifier ce qu’on appelle leur vision du monde. La démarche n’est pas sans risque. Les recherches se poursuivent continuellement, la science évolue ; des découvertes nouvelles, quelquefois totalement inattendues, peuvent altérer considérablement la situation… Conséquence : les visions du monde risquent d’être très vite mises au rencart.

Je prends pour exemple les mots de Claude Lévi-Strauss dans L’Homme nu qui m’avaient beaucoup questionné quand j’étais étudiant en physique : Toute l’activité humaine ne fait que faire tendre l’univers vers la mort thermique qui l’attend inexorablement.

Cette vision du monde est profondément influencée par le développement de la thermodynamique de la fin du XIXe siècle, autour de la notion d’entropie de Boltzmann. Constatant les écarts de températures que nous observons dans l’univers (les étoiles sont chaudes, les planètes sont tièdes, l’espace interstellaire est froid), sachant par ailleurs que les écarts de température ont tendance à s’amenuiser avec le temps — dans un verre d’eau chaude un glaçon fond, et l’ensemble devient tiède — les thermodynamiciens avaient inventé le concept de mort thermique de l’univers. Aucune vie n’est possible sans la présence d’écarts de température comme, par exemple, celui qui existe entre le Soleil et la Terre.

La recherche, c’est ça aussi

Pourtant nous savons maintenant qu’il existe une autre forme d’entropie qui est reliée à la force de gravité et qui change complètement la donne. Tout au long de l’histoire de l’univers, la gravité engendre de nouveaux écarts thermiques en amenant la matière galactique à se compacter sur elle-même pour former des étoiles. Il se constitue ainsi de nouveaux astres au rythme d’environ dix par année, et cela dans chaque galaxie. Ces astres voient progressivement augmenter leur température jusqu’à des centaines de millions, voire des milliards de degrés, tandis que l’ensemble de l’univers continue à se refroidir, accentuant continuellement les écarts thermiques. De surcroît, la découverte récente de l’énergie cosmique sombre, composante majeure de la densité cosmique, va encore plus loin dans le même sens. Le scénario de la mort thermique est totalement remis en question.

Que pouvons-nous dire aujourd’hui sur le destin de l’univers ? Sur cette question nous avons beaucoup régressé récemment. Il y a vingt ans, nous appuyant sur la théorie de la relativité d’Einstein, nous pensions avoir quelques scénarios réalistes. Depuis la découverte de l’énergie sombre qui compose les trois quarts de la densité cosmique et dont nous ne connaissons nullement la nature, nous n’avons plus aucune piste crédible. La recherche, c’est ça aussi. Parfois le niveau de connaissances régresse…