Hubert Reeves

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Quelqu’un au bout de la ligne ?

Publié le 1er octobre 2014 dans Le Point.fr

Prier, Hubert Reeves ne peut plus, mais l’étrangeté du monde est telle qu’il se refuse à penser que ceux qui le font ont tort. Explications.

John Eccles
Le neurophysiologiste John Eccles, qui estimait que le monde était bien plus étrange que nous ne sommes capables de le penser.

Quand, en avion, les turbulences deviennent excessives, il me vient quelquefois l’envie de prier. Mais aussitôt une censure intérieure bloque tout passage à l’acte. Je me dis : Ça relève de la pensée magique… Bientôt, une seconde pensée se présente. Elle est inspirée par ce que dit Freud au sujet des fantômes (dans L’inquiétante étrangeté) et je le cite souvent :

Bien sûr, dit-il, nous ne croyons plus aux fantômes, le développement de la pensée rationnelle au travers de plusieurs siècles de science a formé en nous une structure logique et des réflexes critiques qui nous font tout simplement hausser les épaules. Mais, dit Freud, il y a quelque part en chacun de nous un personnage — un enfant non rassuré — qui s’éveille à la faveur de l’obscurité ou de bruits inexpliqués et qui dit : Et si, après tout, les fantômes existaient ?

Que répondre à cette insidieuse petite voix ? Toute argumentation possible est automatiquement balayée par les mêmes mots : Oui, mais en sommes-nous certains ? L’ignorer ? Cela ne l’empêchera sûrement pas de revenir, bien au contraire. La nuit lui est toujours favorable…

Le cerveau fait ce qu’il peut

Personnellement, j’ai décidé de lui accorder un compartiment à part dans ma tête. Un second plan où elle persiste, mais inactive, dans la suite de mes réflexions. Comme un garde-fou qui tient à distance la tentation des certitudes et de la confiance absolue dans les raisonnements et les conclusions. Elle s’occupe du secteur circonscrit par les mots du neurophysiologiste anglais John Eccles : Le monde est étrange, bien plus étrange que nous le pensons, bien plus étrange que nous ne sommes capables de le penser. Ce compartiment s’appelle pour moi la clause Eccles.

Les succès mirobolants de la physique atomique nous prouvent l’extraordinaire efficacité de l’esprit humain à modéliser mathématiquement la réalité. Mais notre difficulté à comprendre le message que cette même physique nous apprend sur la nature de cette réalité nous met bien en face des limites de notre cerveau. Il fait ce qu’il peut…

Nombreux sont mes amis qui prient. Ils croient qu’il y a quelqu’un au bout de la ligne qui les entend et prête attention à leurs prières. Je l’ai cru dans ma jeunesse. J’en suis bien incapable maintenant. Trop d’arguments dans ma tête paralysent cet acte. J’ignore si je retrouverais jamais cette possibilité. Mais je me refuse à l’idée que ceux qui prient ont tort, et que j’ai raison. Pour retrouver mon confort mental, je me réfère alors à la clause Eccles