Hubert Reeves

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(C’est trop tôt !)

Lettre éditoriale du 2 septembre 2011

Paris, le 2 septembre 2011.

Ce que j’ai dit à l’Université d’été du MEDEF
le 1er septembre 2011

Les découvertes scientifiques ont permis à l'humanité de dissiper un certain nombre d'illusions et à mieux apprécier sa place dans l'Univers. Après Galilée et Copernic, nous avons appris que la Terre n'est pas le centre du monde mais une planète minuscule, orbitant autour d'une étoile ordinaire, située dans une galaxie comme il y en a des milliards dans un univers immense.

Après Darwin, nous avons appris que nous ne sommes pas issus d'une descendance divine mais de lignées animales issues d'une évolution biologique. Nous sommes une espèce animale parmi des millions d'autres sur notre planète. Nous savons aussi que, au cours des âges, d'innombrables espèces sont apparues et que d'autres sont disparues. Les espèces qui durent sont celles qui vivent en harmonie avec leur environnement. Sur ce plan, nous sommes au plus bas du palmarès des animaux. Nous sommes l'espèce la plus prédatrice, et la plus destructrice de son environnement. Pourtant il nous est difficile d'admettre que nous, qui nous sommes crus longtemps le chef d'œuvre de la nature et le but de la création, pourrions à notre tour disparaître …

Notre espèce a ceci de spécial qu'elle a hérité d'un avantage adaptatif majeur : l'intelligence. Cela lui a permis de survivre et de se développer dans un environnement hostile, la savane africaine, il y a deux cent mille ans. Grâce à cette faculté, les humains ont pu progressivement développer des technologies puissantes dont l'impact sur la planète a pris des proportions de plus en plus importantes. Notre impact aujourd'hui est énorme. Nous somme en mesure de réchauffer la planète, d'acidifier tout l'océan, de polluer l'air, le sol et l'eau sous toutes les latitudes, d'éliminer entièrement des centaines d'espèces végétales et animales, de provoquer l'érosion de la biodiversité. De positive qu'elle était au début pour nos ancêtres lointains, l'intelligence et ses retombées sont devenues hautement litigieuses. Elles menacent l'avenir de la vie sur la Terre, dont le nôtre.

Où en sommes nous aujourd'hui ? Nous vivons une période de grande tension et de confrontation entre, d'une part les détériorations qui se poursuivent, quelquefois à un rythme accéléré (les émissions de gaz effet de serre sont chaque année plus intenses, tout comme les déforestations et l'utilisation des pesticides), et d'autre part des actions de sauvegarde et le développement des industries vertes, avec prises de conscience par des symposiums et des rencontres comme cette université d'eté du MEDEF et l'action des associations de protection de la nature.

J'en profite pour mentionner des événements qui se sont passés à la fin du dix-neuvième siècle et de nature à donner de l'espoir. Cette époque qui voit les éliminations des animaux par les hommes atteindre son paroxysme, aussi bien sur le sol que dans la mer, correspond aussi à la création des premiers mouvements de protections de la nature. Par exemple le Sierra Club en Californie. John Muir crée les premiers parc nationaux (Yellowstone). Nombres d'animaux sont sauvés in extremis (bisons, cétacés). Aujourd'hui ces mouvements se sont organisés dans de nombreux pays. Ils jouent un rôle de plus en plus efficace dans la protection de la biodiversité (même si des difficultés graves existent encore).

Sur le plan philosophique, c'est la notion même d'humanisme qui doit s'étendre pour intégrer les nouvelles connaissances scientifiques. Les humains ont appris qu'ils font partie d'écosystèmes dans lesquels toutes les espèces vivantes sont intégrées et dont l'avenir dépend impérativement. Tout humanisme qui ignore cette dimension est voué à l'inefficacité et ne peut nous donner des motifs d'espoir. J'en profite pour dire que cet élargissement de la notion d'humanisme est un des objectifs de l'Association ROC / Humanité–Biodiversité fondée par Théodore Monod et dont je suis aujourd'hui le Président. Vous êtes tous invités à vous associer à notre activité …

Signature d'Hubert Reeves