Hubert Reeves

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Article paru dans L'Est-Éclair du 27 décembre 2003


Hubert Reeves : « L'avenir
de l'espèce humaine est en jeu »

Invité le 8 janvier du cycle de conférences organisé par l'Université de technologie de Troyes, l'écrivain et astrophysicien Hubert Reeves évoquera “L'avenir de la vie sur la Terre”

Hubert Reeves (photo illustrant l'article)
Hubert Reeves avait fait salle comble, à l'UTT, en mars 2000,
en évoquant les premiers instants de l'univers

Hubert Reeves, vous êtes astrophysicien et ardent défenseur de notre planète. On parle aujourd'hui de déforestation, de désertification, de réchauffement de la planète, d'épuisement des ressources naturelles. De quoi faut-il avoir le plus peur à court terme ?

Les inondations, les tempêtes ou plutôt leur amplification et leur rythme accéléré sont vraisemblablement les résultantes de la dégradation des climats sous l'influence de l'effet de serre. Ce sont ces cataclysme qui se manifestent déjà dont il faut, à court, moyen et long termes, craindre les effets et leur répétition. Le saccage des forêts primaires, la désertification et l'épuisement des ressources naturelles que vous évoquez promettent de sombres jours pour les générations suivantes. C'est parce que je m'inquiète de l'avenir de mes enfants et petits-enfants que je choisis de ne pas évoquer seulement l'augmentation du gaz carbonique, responsable identifié du réchauffement climatique ; selon moi, tous les problèmes sont à considérer dès maintenant.

Est-ce l'avenir de l'espèce humaine qui se trouve en jeu ?

Probablement… Le scénario le plus dramatique amènerait son extinction. Mais si elle y échappe par de strictes mesures de restrictions des émissions de C02, elle se trouve menacée d'une autre façon. Le rythme des extinctions d'espèces s'accélère et nul ne sait si l'espèce humaine ne se condamne pas en exterminant les autres. Nous sommes une espèce fragile et l'effet boomerang pourrait sanctionner notre conduite. Que ce soient les abeilles et tous les hyménoptères que nous tuons avec des pesticides alors que nous leur devons la pollinisation des fleurs pour qu'elles donnent des fruits, que ce soient les renards et tous les petits prédateurs que nous exterminons alors qu'ils capturent les rongeurs pilleurs de récoltes, toutes les espèces ont un rôle à jouer… Il nous faudrait développer des qualités de partage de l'espace, la volonté de vivre avec les animaux sauvages, car nous avons davantage besoin d'eux qu'ils n'ont besoin de nous.

La population semble avoir du mal à se convaincre de la gravité de la situation. Qu'est-ce qui pourrait enfin provoquer une prise de conscience ?

L'existence de mouvements protectionnistes (je suis moi-même président de la Ligue ROC pour la préservation de la faune sauvage*), est le signe que les problèmes suscitent des réactions dans la société. L'opinion publique comprend très bien que tout désastre a une cause et que la seule façon de se soustraire au désastre est d'en supprimer la cause. La circulation de l'information s'accélère avec internet. Les cerveaux humains et leurs milliards de neurones vont avoir à relever le plus terrible des défis : enrayer les processus engagés.

La notion de développement durable passe pour partie par une remise en cause de notre système de développement économique. Est-ce raisonnablement envisageable compte tenu des enjeux financiers et politiques ?

Qu'est-ce qui est raisonnable ? Laisser faire et courir à la catastrophe ou redresser la barre ? Un capitaine de bateau dans la tourmente prend les décisions nécessaires pour sauver le bateau et ses passagers. À bord, il y a toutes sortes de personnes, des retraités, des nouveaux mariés en voyage de noces… mais aussi des industriels, des financiers, des chefs d'État… qui veulent tous sauver leurs familles. Non ?

Il semble que l'histoire s'accélère avec un avenir qui ne cesse de s'assombrir. Est-il encore temps de réagir et quelle doit être la priorité absolue ?

Tout s'accélère. Les connaissances aussi. Les problèmes sont identifiés. Quand on est au pied du mur, il faut agir et vite. L'information la plus objective possible est une priorité car si des mesures doivent être prises, elles doivent être comprises pour être admises. La télé et les médias ont de grands services à rendre. Leur vocation même n'est-elle pas d'informer ?

La France est très en retard sur le plan des énergies renouvelables. Revient-il désormais aux collectivités d'intervenir pour promouvoir cette forme de développement ?

J'aime mieux parler d'énergie inépuisable aussi longtemps que le soleil durera, donc cinq milliards d'années. On peut voir venir ! Et la logique est de préférer ce qui est indéniablement durable : le vent, le solaire, la géothermie… Au niveau des collectivités locales, les écoles devraient, par exemple, avoir un chauffe-eau solaire, des lampes à basse consommation d'énergie, planter des haies au lieu de grillager la cour…

L'avenir de la planète est habituellement très absent de la plupart des programmes politiques. À l'approche des élections régionales et cantonales, quel message aimeriez-vous transmettre aux candidats ?

Le même qu'à tout le monde : que l'on soit électeur ou élu, chacun est un Terrien qui doit sauver sa planète car elle est unique.

Comment expliquez-vous qu'une société qui déborde d'imagination et de moyens pour sauver les vies puisse aussi rapidement, et sans réagir ou presque, évoluer sur la voie d'une auto-destruction ?

La puissance du cerveau humain a permis des découvertes impressionnantes. Il importe de mettre ses aptitudes au service de la planète. Penser à long terme est un nouvel objectif. S'il a manqué dans le passé, rien a priori n'empêche dorénavant de le privilégier. Donc agissons avec cet objectif comme phare.

Propos recueillis
par Jean-François LAVILLE


Hubert Reeves
en quelques lignes

Astrophysicien, Hubert Reeves est depuis 1966 directeur de recherches au Centre national de la recherche scientifique avec affectation au Commissariat à l'énergie atomique de Saclay, tout en restant attaché à l'Université de Montréal au titre de professeur associé.

Chevalier de l'Ordre du Mérite, il a notamment reçu le Prix de la Fonction de France. Il est docteur honorifique de l'Université de Montréal, chevalier de la Légion d'honneur, et Officier de l'Ordre du Canada.

En 2001, il reçoit avec Johannes Geiss le prix Albert Einstein. Il est l'auteur de nombreux ouvrages, ainsi que de travaux et articles dans des revues scientifiques. Engagé pour la défense de la biodiversité, Hubert Reeves est devenu en 2001 le Président de la Ligue pour la préservation de la faune sauvage.

Son dernier livre s'intitule "Mal de Terre".

* Ligue ROC pour la préservation de la faune sauvage, 26, rue Pascal, 75005 Paris

“L'avenir de la vie sur la Terre”, par Hubert Reeves, jeudi 8 janvier à 19 heures, grand amphithéâtre de l'Université de technologie de Troyes. Sur réservation uniquement (03-25-71-76-00)