Hubert Reeves

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Article paru dans Le Journal de la Haute-Marne du 18 janvier 2004

Le Journal de la Haute-Marne


 RENCONTRE 

Réchauffement climatique :
l'homme face à son destin

Notre chère vieille planète connaît une poussée de température dont l'activité humaine est principalement la cause. Interrogé sur ce sujet, l'astrophysicien Hubert Reeves évoque une crise majeure dans l'Histoire de l'humanité.

Hubert Reeves
Dans son dernier livre “Mal de Terre”, Hubert Reeves examine les problèmes qui attendent l'espèce humaine.

Publiés il y a quelques jours, les résultats d'une étude s'appuyant sur les recherches d'une vingtaine de scientifiques menées à différents points du globe, ont largement de quoi alarmer. Et pour cause. Se plaçant dans la perspective du réchauffement climatique annoncé selon qu'il pourrait être faible (de 0,8 à 1,7° C), moyen (de 1,8 à 2° C) ou important (plus de 2° C), les auteurs de cette estimation prévoient en effet qu'un quart des espèces terrestres pourraient succomber dans ces conditions d'ici 2050. Soit près d'un million d'espèces purement rayées de la surface de la planète.
Un résultat que corrobore pour sa part Hubert Reeves qui ne laisse planer aucun doute à ce propos. «L'étude publiée par Nature avive les terribles inquiétudes que j'éprouve depuis que, pour les besoins du livre “Mal de Terre”, j'ai enquêté méthodiquement sur le réchauffement climatique. Aucun signe ne vient contredire, au contraire, les hypothèses, déjà connues, des meilleurs experts. Des bouleversements sont à attendre. En fait il faudrait se mobiliser d'urgence pour en réduire la probabilité» rapporte l'actuel président de la Ligue pour la préservation de la faune sauvage qui renvoie l'homme à ses propres responsabilités dans cette affaire.

Situation critique

Écologiste de la première heure, scientifique reconnu et respecté dans ses prises de position, Hubert Reeves est conscient que rien ne pourra se faire sans un changement radical et immédiat de nos comportements au risque de voir s'amenuiser les chances qu'il nous reste encore de limiter les dégâts, à défaut d'inverser la tendance. «La biodiversité est un mot qui semble abstrait. Il est pourtant synonyme de millions d'espèces animales et végétales, connues ou encore inconnues, impossibles à quantifier de façon précise. Dans le passé, il y a eu des périodes d'extinction massive mais cette fois l'activité humaine en est la cause. Cette “sixième extinction” a commencé avant que le réchauffement climatique n'intervienne. La déforestation en milieu tropical, le pillage des poissons marins, les chasses intensives, ont une responsabilité évidente dans cette accélération du rythme des disparitions…», ajoute l'astrophysicien qui a lui-même établi plusieurs scénarios selon la hauteur de la température moyenne du globe en sachant que la modélisation la plus extrême n'écarte pas l'éventualité d'une “auto-élimination” possible de l'espèce humaine.
Curieux paradoxe pour l'homme à l'heure où il atteint un niveau de technicité extrême qui lui permet désormais d'aller et venir dans l'espace afin d'y recueillir des informations utiles à la compréhension de l'univers, tout en ayant à faire face à la survie de sa propre planète d'origine.

Prise de conscience

«Merveilleuse faculté, l'intelligence a été sollicitée à la fois pour créer des engins de mort, et pour l'amélioration des conditions de vie. Et voilà que ce que nous croyions bénéfique se retourne parfois contre nous. L'exemple à prendre est celui de nos voitures, des camions, et des climatiseurs qui les équipent… Quelle liberté, quel confort… immédiat. Mais quels dégâts ! Les gaz à effet de serre dégagés dans le passé et le présent, risquent fort de faire de plus en plus de sinistrés, de victimes, dans l'avenir… Finalement la dose de courage politique à prévoir augmente plus vite que la température» constate le scientifique qui est intervenu la semaine dernière sur le thème de l'avenir de la vie sur terre à l'invitation de l'Université technologique de Troyes et devant près de 850 auditeurs particulièrement attentifs à ses propos, preuve que le message trouve de plus en plus d'échos.
«La connaissance des problèmes est réelle, la diffusion des connaissances augmente, et des scientifiques alertent l'opinion. Les médias s'intéressent au sujet, vos lecteurs vont réfléchir. De lecteurs, dans peu de semaines, ils seront électeurs… et comme ils sont souvent parents ou grands-parents ou qu'ils le seront un jour, ils vont choisir ceux pour qui gouverner, c'est prévoir aussi, à long terme» conclut Hubert Reeves qui, lorsqu'on lui demande s'il est plutôt confiant ou résigné face aux échéances à venir, répond qu'il conserve néanmoins une certaine “volonté d'espoir”.

De notre correspondant
Étienne Clément