Hubert Reeves

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Par Hubert Reeves ; illustrations de Jean-Michel Charpentier.

Les Éditions Elytis, Paris, octobre 2011.

ISBN 978-2-3563-9076-9 (broché)
La petite affaire jaune
Format 1,5 × 17 × 24,5 cm, 112 pages.
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APRÈS UNE VIE ENTIÈRE consacrée à rendre la science accessible à tous, à donner à lire et à comprendre l’univers et ses phénomènes complexes, Hubert Reeves, astrophysicien et ardent défenseur de l’environnement, méritait bien une récréation. C’est lui-même qui nous la propose avec cette Petite affaire jaune.

Contes, histoires et devinettes composent ce beau-livre insolite, illustré par les gravures et dessins de Jean-Michel Charpentier.

De nombreux philosophes ou scientifiques se sont penchés sur le sujet très sérieux de la blague : de Kant à Voltaire ou de Bergson à Freud, tous ont trouvé là des réponses à la question : qu’est-ce qui provoque le rire ?

Mais peu importe la réponse : laissons-nous emporter dans cet univers original et décalé, le temps d’une rêverie qui nous ferait oublier toute la frénésie du monde …


Texte de l’introduction de l’ouvrage

J’AI SOUVENT constaté le rôle social et interactif des blagues et des devinettes.

Invité comme conférencier dans des collèges, il m’est parfois proposé de partager un repas avec les enseignants. Après les présentations d’usage, il s’agit de passer à table. Une fois tout le monde assis, arrive le moment difficile. Comment trouver un sujet de conversation, éviter les silences compassés ou les échanges de propos impersonnels et ennuyeux ? Ma recette favorite consiste à leur demander s’ils aiment les devinettes ou encore : Connaissez-vous l’histoire de … La mobilisation est rapide. La glace fond et la convivialité s’installe.

C’est la raison pour laquelle j’ai collectionné, depuis longtemps, un certain nombre de devinettes et d’historiettes que je présente ici. Les ayant racontées de nombreuses fois, j’ai appris à prévoir les réactions des auditeurs. Je peux ainsi les préparer et les conduire progressivement dans l’état mental requis pour en appréhender la substance.

J’inclus aussi dans cet ouvrage quelques propos qui pourraient s’avérer utiles aux futurs conteurs.

J’ai présenté ces histoires dans de nombreux pays et à des groupes très différents. J’ai souvent été frappé par la composante culturelle dans le mode d’appréhension de l’humour. Ce qui fait rire aux éclats dans certains milieux, ne produit qu’un sourire poli ailleurs et peut même engendrer de l’irritation chez d’autres.

De nombreux auteurs, sociologues ou psychologues, ont abordé ce sujet.

Dans son livre, Jim Holt 1 présente une liste imposante d’histoires publiées depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours. Il donne également les réponses très variées à la question : Qu’est-ce qui provoque le rire dans une blague ? Des auteurs aussi sérieux qu’Emmanuel Kant, Voltaire, Freud 2 (grand collectionneur d’histoires juives), le philosophe Bergson 3 ou le mathématicien Alfred North Whitehead se sont penchés sur cette question.

Ici, je ne parle que de ma propre expérience, avec mon matériel qui est, somme toute, très limité. Il s’agit seulement d’un hobby et mes propos ne prétendent à aucune valeur scientifique. Juste des commentaires.

Prenons les blagues ethniques par exemple.

Il s’agit d’histoires qui expriment, par le biais de l’humour et ou de la dérision, les caractéristiques d’une ethnie particulière. Les plus nombreuses se rapportent généralement à des peuples victimes de xénophobie et de racisme. Les Juifs sont l’exemple classique, mais aussi les Turcs (en Allemagne), les Newfies (Habitants de Terre-Neuve au Canada), les Noirs aux États-Unis, les Arabes en France. Ou encore, mais d’une façon moins haineuse quoique parfois méprisante, les Belges, les Écossais, les Suisses et, bien sûr, les blondes et les altistes, dans un autre registre !

Il faut distinguer ici deux types d’histoires : celles racontées à l’extérieur d’une ethnie donnée et celles que les membres de cette ethnie se racontent à leur propre sujet.

Des premières ressortent inévitablement les mêmes thèmes : les juifs et les Écossais sont avares, les Belges sont bêtes, les Suisses sont lents et les Newfies sont des brutes préhistoriques.

Les secondes, beaucoup plus intéressantes, illustrent un pan de la réalité humaine : celle des peuples soumis à des traitements infamants. Elles traitent de la façon dont on peut arriver à vivre, voire à survivre sous des régimes répressifs et dans des conditions ignominieuses. Comment encore l’humour et la dérision deviennent alors de précieux adjuvants pour traverser ces périodes tragiques.

Mes voyages dans les républiques socialistes de l’Europe de l’Est m’ont permis d’aborder ces sujets avec des amis qui, malgré les risques encourus, acceptaient de me parler secrètement. J’ai souvent été étonné par leur capacité à utiliser l’humour pour arriver à coexister avec les oppresseurs.

Petite philosophie des blagues et autres facéties, Jim Holt, 10/18. Ainsi, si pour Holt (p.95) tout ce qui est amusant semble receler de près ou de loin une part d’incongruité, pour Kant l’incongruité dans une blague se situe entre le quelque chose de l’exposition et le rien décevant de la chute. L’effet comique tient à la soudaine réduction à rien de la tension d’une attente.

Le mot d’esprit et sa relation à l’inconscient, Sigmund Freud, Gallimard.

Le rire, Bergson, PUF.