Hubert Reeves

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La Terre n'est pas infinie

Émission du 3 avril 2004

Notre planète, la Terre, n'est pas infinie en dimensions. Nous le savons depuis longtemps. En fait depuis que, quatre siècles avant J.-C., le physicien grec Eratosthène en a mesuré la circonférence. Mais la prise de conscience de la portée réelle de cette découverte est beaucoup plus récente. Elle date de moins d'un d'un demi-siècle. Et elle est loin d'avoir pénétré tous les esprits.

Les Romains rejetaient leurs eaux sales dans la Méditerranée, mais cela n'avait pas beaucoup d'importance. Les Romains étaient peu nombreux et la Méditerranée est si vaste !

Depuis ces temps lointains, la population humaine a beaucoup augmenté. Elle a passé le seuil du premier milliard au 19ème siècle, et elle atteint aujourd'hui plus de six milliards. Les démographes prévoient un maximum situé entre huit et dix milliards vers 2050. Tous les continents sont maintenant largement occupés, à l'exception des déserts et des régions polaires.

Mais, plus significatif que la population elle-même, il y a le prodigieux développement de la technologie et de l'industrie humaine. Sur le plan minéral (pétrole, gaz, charbon), sur le plan végétal (forêts, terres arables), sur le plan animal (pêcheries et pâturages), le rythme d'exploitation des réserves naturelles s'est accru à une telle vitesse que l'épuisement est prévisible à relativement court terme.

De surcroît, ces exploitations entraînent des dégâts graves à l'environnement. Ces dégâts prennent la forme de pollutions : de l'air, de l'eau et des sols. Dans la mince atmosphère qui entoure notre planète, une centaine de kilomètres à peine, notre cocon minuscule dans ce grand univers, nous rejetons de plus en plus de gaz toxiques qui affectent profondément les conditions dans lesquelles nous vivons.

Nous rejetons chaque année plus de neuf milliards de tonnes de gaz carbonique. La concentration de ce gaz a augmenté de plus de 25 % depuis le début de l'ère industrielle, et elle pourrait doubler avant la fin de ce siècle, entraînant un réchauffement majeur, avec tous les effets nocifs qui s'ensuivent : déstabilisation des climats, et augmentation des phénomènes extrêmes : tempêtes, sécheresses, inondations, etc.

L'amincissement de la couche d'ozone qui nous protège des rayons ultraviolets du Soleil est dû à l'émission dans l'atmosphère de gaz variés, de provenance industrielle, comme les CFC (chloroflurocarbones).

Les produits chimiques rejetés dans l'eau produisent des effets graves sur les populations de poissons et sur les humains eux-mêmes lorsqu'ils consomment ces poissons contaminés.

Les engrais azotés et les pesticides utilisés pour les cultures détériorent la qualité des sols et sont responsables d'une diminution importante des surfaces de terres productives à l'échelle de la planète.

L'effondrement des populations de poissons dans les océans (morues, harengs, anguilles), provoqué par la surpêche, elle-même engendrée par la prodigieuse efficacité des techniques de pêche et les rivalités entre les nations, pose à son tour le problème de l'approvisionnement en nourriture dans les décennies prochaines.

Les télescopes en orbite au-dessus de notre planète se tournent quelquefois vers le sol pour observer l'état de la Terre. Les photos prises de nuit illustrent la situation contemporaine. Les illuminations des villes et des autoroutes, visibles en jaune ainsi que les lumières rouges qui identifient les zones d'extraction du pétrole (la combustion du méthane) nous rappellent que nous avons brûlé environ la moitié des réserves disponibles. Les taches mauves en Afrique subsaharienne et en Amazonie signalent le rythme effarant de la destruction des forêts. Une zone verte dans la mer du Japon (pêcheries avec lampe) nous évoque éloquemment l'effondrement programmé des pêcheries.

Non la Terre n'est pas infinie, et nous l'apprenons à nos dépens.