Hubert Reeves

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Pluies acides

Émission du 17 juillet 2004

Il y a environ une vingtaine d'années, on parlait beaucoup des pluies acides. Les forêts du nord-est américain (Québec, Nouvelle Angleterre) et celles d'Europe (Alsace, Forêt Noire) voyaient leur feuillage se dessécher et tomber, dénudant les troncs et les branches. La couleur des lacs passait du vert au bleu des mers du Sud, indiquant par là la disparition des planctons d'eau douce, avec pour conséquence la mort des poissons.

La cause : les eaux de pluies étaient devenues progressivement de plus en plus acides. Et la cause principale de cette acidité fut attribuée aux émanations des grandes cheminées des centrales thermoélectriques crachant des oxydes d'azote et de soufre. En effet, quand ces substances réagissent avec l'air et l'eau, il se forme des composés acides, sulfuriques, et nitriques. L'ensoleillement accroît les réactions. Transportées d'est en ouest par les vents de haute altitude, ces substance se dispersaient, en Amérique à partir des États voisins des grands lacs vers les lacs québécois et labradoriens.

La cause de ces désastres étant identifiée, des mesures furent prises en 1990, lors d'une convention (Clean Air Act Amendment) rassemblant des scientifiques, des entreprises et des instances gouvernementales. Des filtres appropriés furent installés au sommet des cheminées. Et l'acidité des pluies décrut de façon appréciable, ménageant ainsi la végétation forestière et les organismes aquatiques.

Aujourd'hui, dans les Vosges par exemple, les pluies sont moins acides que par le passé. La fermeture d'un grand nombre de centrales thermiques consécutive à l'avènement du nucléaire, la filtration des fumées d'usine, la désulfurisation du gazole, ont contribué à diviser par trois la concentration en soufre des eaux de pluie sur le massif vosgien, entre 1993 et 2001. Sur la même période, les oxydes d'azote ont été réduits d'un facteur deux.

Il importe ici de s'arrêter pour prendre bonne note de cette évolution positive grâce à la coopération de trois instances :

  1. les scientifiques pour étudier le phénomène, en identifier les causes et proposer les solutions,
  2. les gouvernements pour établir une législation appropriée, que
  3. les entreprises s'engagent à respecter.

Cet exemple montre que, si ces trois instances se mettent d'accord pour agir et prendre les mesures qui s'imposent pour limiter les dégâts, il en résulte une amélioration de la situation. Il est important de se le rappeler.

Malheureusement, de telles initiatives sont prises dans les seuls pays riches de notre planète. Les touristes qui visitent l'Europe de l'Est sont affligés du spectacle lugubre des immensités desséchées et déboisées. Lors d'un voyage récent en Chine du Nord, j'ai contracté une sérieuse pneumonie à cause de la pollution de l'air. Au voisinage des mines de charbon, des usines dégagent en permanence des panaches sombres de fumées opaques et malodorantes. Je ne sais pas si les enfants de ces lieux savent que le ciel est normalement bleu, et non pas jaune, comme ils le voient. Les Japonais constatent avec désolation que leurs belles forêts sacrées se détériorent à cause des pluies acides provoquées par les centrales chinoises, et qui sont propulsées par les vents au-dessus de la mer du Japon.

Même dans nos pays occidentaux, malgré les améliorations signalées, la situation des pluies acides reste un problème, directement lié au transport routier toujours en croissance. Ce choix politique du camionnage risque de neutraliser les progrès réalisés ; il est dorénavant la cause principale de l'émission d'acide nitrique et de la formation d'ozone atmosphérique. À cause de cela, forêts et lacs sont toujours en danger.