Hubert Reeves

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Émission du 13 novembre 2004

On connaît assez bien, aujourd'hui, les causes et les circonstances des extinctions en cours, ou des extinctions déjà achevées.

On peut nommer d'abord la prédation excessive par l'humanité : le saccage des oiseaux et des animaux terrestres par l'arrivée des navigateurs des siècles derniers sur les îles nouvellement découvertes en est l'exemple le plus dramatiquement connu.

Une autre cause, plus grave encore, parce que plus difficilement contrôlable, est la fragmentation de l'habitat provoquée par l'extension des territoires utilisés par les humains pour l'agriculture et l'industrie : les grands mammifères, félins, éléphants et autres ont besoin d'immenses territoires pour se nourrir convenablement. Les humains grugent et rétrécissent continuellement leurs habitats.

A priori, aucune de ces causes ne semble susceptible de provoquer la disparition de l'humanité. Par exemple, contrairement à la plupart des animaux, les êtres humains ne semblent pas menacés par les réductions territoriales. L'accroissement rapide de la fraction de la population humaine qui vit dans les mégapoles de plus de dix millions d'habitants le prouve abondamment. Les hommes ne s'accomodent pas trop mal de la densité de leur population.

Et d'ailleurs nous constatons que, loin de décroître, la population humaine continue à augmenter, grâce en partie aux grands progrès de la médecine, qui a considérablement diminué la mortalité infantile, et aussi grâce à l'amélioration de l'hygiène de vie. En fait, la durée moyenne de la vie humaine est en constante augmentation. Qu'est-ce qui pourrait éliminer l'humanité ?

Les causes les plus inquiétantes aujourd'hui sont les pollutions de l'eau et de l'air, augmentant les risques de dégradation de la santé, de malformations congénitales, et de maladies infectieuses. On constate en particulier une diminution importante des spermatozoïdes chez les humains. Des produits chimiques toxiques se retrouvent jusque dans les territoires polaires, dans le sang et le lait des populations locales.

Un phénomène de plus en plus présent risque de neutraliser les avancées de la médecine et de l'hygiène : la disparité des richesses dans le monde. La différence entre les revenus des plus riches et ceux des plus pauvres s'accroît continuellement. Plus d'un cinquième de l'humanité n'a pas accès aux sanitaires et boit de l'eau polluée.

L'absence de soins médicaux appropriés provoque depuis plusieurs années le retour en force de maladies traditionnelles comme la malaria, dont le territoire s'étend à cause du réchauffement planétaire. À cela s'ajoute la montée fulgurante du sida, dans les pays qui, précisément, n'ont pas accès aux thérapies appropriées.

L'état de délabrement de l'ex-URSS est un exemple d'une situation contemporaine qui risque de s'étendre à toute la planète si nous n'y prenons pas garde : après des décennies d'industrialisation sauvage, sans souci écologique et au mépris de la vie des gens, la durée de la vie moyenne y est en régression dans de nombreuses régions.

L'assèchement de la mer d'Aral en est un exemple particulièrement dramatique : les pesticides, déversés dans les champs de coton irrigués par les eaux des fleuves détournés de la mer d'Aral ont hautement pollué toute la région. Une fraction importante des enfants naissent avec des malformations congénitales entraînant souvent une mort précoce. L'espérance de vie, une des plus basses du monde, continue à diminuer.

Cet exemple doit nous servir de leçon.