Hubert Reeves

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Article paru dans Le Journal de Montréal,
le 1er juin 2007.


ENTREVUEPRIX PHÉNIX
CG CD

Hubert Reeves honoré

Astrophysicien, humaniste et vulgarisateur de renom, Hubert Reeves vient d'être intronisé au Cercle des Phénix à titre de personnalité de l'année pour son engagement indéfectible à la cause environnementale.

Le chroniqueur du Journal de Montréal et auteur de plusieurs livres dont Mal de Terre rejoint ainsi les grands noms de la scène environnementale québécoise s'étant illustrés par leurs actions au cours des dernières années.

Cet honneur lui a été conféré hier soir à l'Assemblée nationale au cours de la cérémonie de remise des prix Phénix de l'environnement, les plus prestigieux dans le domaine au Québec.

Le Journal de Montréal a réalisé une entrevue avec cet homme d'envergure pour connaître son parcours, ses réalisations ainsi que ses opinions sur les sujets de l'heure en matière d'environnement.

Propos recueillis par Jessica Nadeau

Q
Vous avez reçu une multitude de distinctions au cours de votre brillante carrière, mais il s'agit du premier prix relié à l'environnement. Cette intronisation au cercle des Phénix a-t-elle une signification particulière pour vous ?

REssayer de contribuer à la préservation de la biodiversité dont l'humanité fait partie et dépend, c'est presque devenu une seconde carrière. Comme la première, elle m'implique dans une équipe. Tout comme les distinctions qui me furent attribuées dans la première récompensaient, à travers moi, ceux qui travaillaient avec moi, me désigner pour entrer dans ce cercle des Phénix, c'est reconnaître dans mon équipe un groupe motivé et dévoué au vivant. Et cela allège sur mes épaules ce titre si prestigieux que je reçois et dont, en quelque sorte, je ne mérite qu'une partie.

Q
Vous êtes astrophysicien. D'où vous est venu cet intérêt pour les questions environnementales ?

RLa nature m'a toujours enchanté. Je ne peux me passer d'aller à la rencontre des arbres, d'écouter les oiseaux, de pénétrer les sous-bois, de nommer les fleurs et les étoiles par leur nom. J'ai assisté au déclin des papillons, des hirondelles, et j'ai appris des naturalistes que de très nombreuses espèces disparaissent complètement. L'inquiétude m'a saisi, renforcée par les conséquences du réchauffement climatique. Et j'ai des enfants, des petits-enfants… Quel avenir leur préparons-nous ? J'ai alors décidé de m'engager plus avant il y a une dizaine d'années en rejoignant une association dont l'expérience est précieuse pour agir au mieux des intérêts des générations futures, toutes espèces confondues. Mais la nôtre a beaucoup d'importance pour moi.

Q
Vous êtes un modèle pour plusieurs, mais vous, qui vous inspire ?

RJe regarde toujours du côté des chercheurs et des grands penseurs. Chacun à tour de rôle m'inspire.

Bien sûr, j'ai une pensée particulière pour le Père Louis-Marie qui, dans mon enfance, m'a guidé et m'a fait devenir l'ami des plantes et des animaux…

Q
Sur le plan environnemental, quelle est votre plus belle réussite ou votre plus grande fierté ?

RVous le savez, je partage mon temps entre le Québec et la France. Une grande joie m'a envahi quand ce dernier pays a installé le principe de précaution dans sa Constitution [NDLR : article de loi adopté en 2004 obligeant les gouvernements à une certaine retenue lorsqu'ils s'engagent dans des actions dont on ne connaît pas encore les conséquences sur le plan environnemental]. J'ai participé à cette évolution et je sais que beaucoup d'autres personnes l'ont, autant que moi, favorisée. Il importe de créer ou de soutenir un mouvement d'opinion. C'est « ensemble » que l'on est plus fort.

(Photo d'Hubert Reeves)
PHOTO BENOÎT GARIÉPY
 Hubert Reeves

Q
Et sur le plan personnel, que faites-vous au quotidien pour sauver la planète ?

RL'énergie qui ne pollue pas est d'abord celle qu'on ne consomme pas. J'essaie de prendre l'habitude de petits gestes quotidiens comme ne pas éclairer une pièce quand elle est vide. C'est un exemple à donner aux enfants. C'est économique et écologique, comme économiser l'eau du robinet…

Je choisis la marche et les transports en commun, le chemin de fer plutôt que l'avion mais l'avion reste indispensable quand je reviens au Québec !

Q
Selon vous, quel est le principal défi auquel la Terre devra faire face dans les prochaines années et/ou décennies ?

RIl n'y en a pas qu'un. La pauvreté et les périls écologiques comme l'érosion de la biodiversité et le réchauffement climatique sont des défis à relever. Il y a urgence.

Q
Vous avez longtemps défendu le nucléaire comme étant l'énergie de l'avenir. À l'heure du réchauffement planétaire, croyez-vous que le nucléaire soit une solution envisageable ?

ROn ne peut le supprimer du jour au lendemain, mais l'astrophysique m'a habitué aux grands chiffres et au-delà de quelques décennies, la principale ressource énergétique pour des siècles et des millions d'années, c'est le soleil… Accélérer le recours aux énergies « inépuisables », donc gouverner avec le souci du long terme, me semble la façon d'agir la plus sage.

Q
Le Québec, comme plusieurs autres, s'engage de plus en plus dans la production de biodiesel et d'éthanol pour réduire la dépendance au pétrole. Cette nouvelle forme d'énergie est-elle aussi «verte» qu'on le dit ?

RVraisemblablement pas. Si l'on utilise engrais et pesticides pour accroître les rendements, on tombe de Charybde en Scylla… Et si l'agriculture nourricière est réduite au profit d'une agriculture à des fins de transport, le choix n'est pas pertinent. Et si l'on déforeste pour implanter des palmiers à huile, on saccage sans espoir de retour. On condamne à mort un grand nombre d'espèces…

Q
Depuis quelques années, le protocole de Kyoto est perçu comme étant LA solution pour éviter une catastrophe planétaire. Quelle importance accordez-vous à ce protocole ?

RCe n'est qu'un premier pas, un tout petit pas. Il faut être plus ambitieux.

Ce n'est pas simple. « Si tous les gars du monde », dit une chanson… Il est un personnage qui devrait bien entrer dans la ronde, un certain Monsieur Bush…

Q
Les citoyens semblent de plus en plus conscients de leur empreinte écologique et tentent, dans les limites du possible, d'en diminuer l'impact. Croyez-vous qu'il s'agit d'une mode passagère ou est-ce plutôt le début d'une nouvelle ère de conscientisation ?

RSi c'est une mode, il faut la faire durer. En réalité, ça ressemble davantage à un mouvement de fond, une lame qui va ensevelir les mauvaises habitudes au profit de nouvelles. Ce changement apportera plus de satisfactions à l'âme.

En plus de l'art et de la science, l'humanité a développé son aptitude à la compassion et ces trois piliers de l'existence humaine sont à consolider.

Le développement durable dont on parle de plus en plus a lui aussi besoin de trois piliers échafaudés à égalité… Nous attacher à ces objectifs garantirait au mieux le sort de nos petits-enfants.



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